Japon, Sodome, et Gomorrhe.


" CHACUN DE SON CÔTÉ... "


C'est toujours un sujet délicat, que celui des relations hommes-femmes, les généralités s'effondrant en apparence devant les cas particuliers, et chacun ne connaissant que ce qu'il a vécu, ouï-dire, lu. Cependant, on peut toujours dire ce qui nous semble être, n'est-ce pas.

De fait, les relations entre sexes opposés sont, au Japon, radicalement différentes de ce qu'elles sont, de celles qu'on connait en France.

Le régime de droit semble être celui de la Séparation : d'un côté les hommes, entre eux, de l'autre les femmes, entre elles — d'où le titre du message, en référence au Sodome et Gomorrhe de Jean Giraudoux, pièce dans laquelle hommes et femmes ne voient pas l'intérêt de vivre ensemble, sont mieux entre gens du même sexe, encourant de ce fait, malgré, comme souvent chez Giraudoux, la médiation de l'ange et du jardiner, la punition divine. Ceci dit, nous ne sommes pas là pour questionner le bien-fondé de l'être-ensemble des mâles et femelles (qui sont juste programmés pour copuler et se reproduire ; rien dans les gènes en ce qui concerne les institutions maritales), mais les modes relationnels au Japon.

Au Japon, il semble que l'outre-presse du temps des études et de celui du travail (1.) forme un modèle relationnel inter-sexuel cloisonné (2.), que ce soit à l'échelle amicale ou amoureuse, l'autre renforçant l'un.

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1. CONTEXTE SITUANT : ÉTUDES ET TRAVAIL.

Il va de soi, dans nos belles sociétés post-modernes, que la recherche d'un partenaire est secondaire : études (1.1.) et travail (1.2.) passent devant. Celle-là s'opère donc dans le cadre de ceux-ci, qui en déterminent les modes.

1.1. Études.

Au temps des études, du collège à l'université, il faut distinguer entre les périodes collège/lycée, et université, comme jour et nuit.

Dès le primaire, l'école est lieu d'une intense compétition (imposée par les parents, encor eux) pour entrer dans le meilleur établissement possible ; l'école, le collège, le lycée particulièrement, est parfois à une heure de train ; les cours du soir (commerce juteux, encor) sont pour la plupart inévitables et prennent souvent plusieurs heures après les cours du jour ; enfin, le collège ou le lycée est parfois "unisexe", ce qui est assez souvent le cas pour les établissements renommés — tout cela fait qu'il reste assez peu de temps libre pour le contact avec le sexe opposé et la romance adolescente. Bien sûr, ceux qui n'en ont rien à fiche des études s'en donnent à cœur joie.

L'université, c'est autre monde : on a bien trimé pour arriver là et, un peu comme pour nos écoles de commerce et d'ingénieur, une fois l'entrée passée, c'est la fête et la relâche. C'est là que se font une part non négligeable des couples. D'ici à ce qu'ils tiennent, c'est une autre histoire.

N'oublier pas qu'un nombre non négligeable de lycéens ou ronins font le choix ou sont contraints de sauter l'étape universitaire, et d'entrer de suite dans le monde du travail, enchaînant petit job (バイト baito) sur petit job. Ce qui, paradoxalement, peut possiblement augmenter les chances de sorties et le temps libre, si tant est que le loyer ne bouffe pas la paie tout de go. Enfer ou paradis, c'est selon. En général, ce n'est toutefois pas la joie.

1.2. Travail.

Une fois la période de collège, lycée et université passée, le rythme de vie et de travail — longues journées, heures supplémentaires "obligatoires" et beuveries "obligatoires" après-boulot entre collègues, pour les salariés typiques, le bon plan restant le plus souvent le fonctionnariat (ah, un air connu)— fait que les occasions de nouvelles rencontres se font rares.

Ce n'est pas un fait exclusif au Japon : après avoir fait le tour des cercles estudiantins puis de travail, le nombre de partenaires possibles est — dramatiquement ? — réduit, d'autant plus qu'à mesure que le temps passe, les gens se casent, n'est-ce pas. Toutefois, du fait du relatif cloisonnement des cercles d'amis au Japon et d'entre la vie publique (travail) et la vie privée, les occasions s'amenuisent plus encor.

Ici, pas d'ami(e) qui ramène à son tour ses amis à une soirée — qui se passe rarement chez quelqu'un, mais en café, restau, où le nombre de places et participants limité, et conséquemment par avance décidé.

Amour et travail ne vont très-souvent pas de pair, et leur association est plutôt mal vue. L'apparence étant tout au Japon, il n'est pas rare toutefois que tout se fasse en secret, et qu'un beau jour les collègues apprennent que Mlle X démissionne pour se marier avec M. Y, avec qui elle sortait, sans qu'ils s'en aperçussent, depuis cinq ans, alors qu'ils pensaient que Y avait A et P pour petites amies. L'un n'exclut pas l'autre. Par exemple.

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2. DES RELATIONS CLOISONNÉES ET CODIFIÉES.

Etudes et travail au Japon, on l'a vu, ne placent pas sous les auspices les plus simples les relations entre hommes et femmes. Il semble que le relatif cloisonnement des sexes a conduit à la codification extrême des relations inter-sexuelles. On peut distinguer l'avant- (2.1.) de l'après- (2.2.) mariage.

1. Avant mariage.

Point intéressant : qui fait le premier pas ? Détail peut-être insignifiant : contrairement à ce qui se fait en France, ce sont les filles qui offrent au(x) garçon(s) de leur choix les chocolats à la Saint-Valentin. La distinction entre chocolats "par obligation" (offerts aux hommes de la famille, aux collègues de bureau) et chocolats "par amour", "sérieux" (offerts au garçon en vue) est bien connue. De même ce White Day, où les garçons visés "sérieusement" répondent par un choco ou cadeau (de valeur supérieure : commerce, encor). Quoi qu'il en soit, la gente féminine est (enfin) obligée, pour le coup, de passer à l'acte, ce qui me réjouit assez — leurs pendants français ne le faisant que rarement, se contentant de "signes" et minauderies auxquels les hommes, dans leur suprême aveuglement, ne daignent pas prêter attention. Dommage pour eux.

La vie amicale est elle aussi quelque peu différente, et joue, on en conviendra un rôle non négligeable dans l'opportunité des rencontres. Les filles sortent entre filles, les garçons entre garçons. Les groupes d'amis sont très souvent "unisexes", d'autant plus à mesure que le temps passe : entre filles, au café autour d'une sucrerie ; entre garçons, après le travail, autour d'une bière. Adultes, s'il est rapport entre les deux, c'est qu'il y a gokonblind group dating (je ne sais trop comment traduire ce gokon : rencontres de groupe en aveugle organisées ?), auxquels d'aucuns et d'aucunes assistent assidûment — ou dîner entre couples.

De fait, aussi, si s'organise un tête-à-tête, c'est forcément qu'il y a anguille sous roche, d'un côté ou de l'autre.

Cette relative séparation des sexes a, semble-t-il, entraîné une forte codification des relations entre ceux-ci. Certes nous avons également en France le parcours "rencontre-invitation au café/restau - et plus si affinité" ; mais le détail n'en est pas fixé jusqu'aux mots — d'où Japonais, en situation flirt voulue ou subie, un peu perdus en France (et relats cocasses).

Ici, s'il devait être une phrase incontournable, dite par ailleurs par l'un ou l'autre (conséquence de la tradition valentine ?), ce serait : 付き合って下さい (tsukiatte kudasai, sortez avec moi), ou variante du style : 好きです (suki desu, je vous aime).

Il y a de fait mise en mot et demande — ce qui n'est souvent pas le cas en France, où l'on préfère faire savoir que l'autre nous "intéresse" ou "plaît", ou tenter contact direct —, ce qui donne aux débuts un air un peu guindé, mais c'est ainsi, c'est bien confortable de savoir à quoi s'attendre, d'autant plus qu'on n'est pas guère habitué à fréquenter l'autre sexe.

Si tout échoue — occasions en études, travail ou gokon — et que les parents s'en inquiètent, reste le お見合い (omiai), rencontre arrangée par les familles. On présente alors une sorte de CV, avec jolie photo en kimono ou costume, et compte rendu des activités, travail, hobbies, salaire annuel… Un adage veut qu'une relation fondée sur la communauté des intérêts plutôt que sur la passion a plus de chances de durer.

Le concept et les occurences de 出来ちゃった結婚 (dekichatta kekkon : mariage "on l'a fait", précipité par une grossesse) ne sont nullement un fait japonais — pour preuve le mariage de ma sœur en août dernier. Ahem. Ceci dit, il n'y a qu'au Japon où c'est occasion de commerce florissant — au Japon, où, de toute façon, tout est occasion de commerce —, et ces titanesques entreprises de mariage (et pompes funèbres : cela va souvent de pair) de proposer à bref échéance des mariages clefs-en-main, où tout est — comme à l'habitude — minutieusement minuté, pesé, calculé, organisé, satisfaction garantie et album-photo inclus : les mariés n'ont à s'occuper que d'ouvrir le portefeuille. Le client est dieu, n'est-ce pas.

2. Après mariage.

Après mariage, les rapports entre sexes ne changent pas guère : le plus souvent, chacun vit sa vie amicale (s'il il reste du temps après le boulot) de son côté : madame a son cercle d'amies, monsieur a son cercle d'amis. Les sorties "en couple" sont, notons-le, assez rares : on ne mélange pas torchons et serpillères. Si d'aventure vous étiez "pêchés" par un groupe de cinq jeunes filles de 25-35 ans, il est fort possible que toutes soient toutefois mariées. Ceci dit, l'homme peut, après noces, échapper plus facilement aux beuveries d'après-boulot ("Désolé : ma femme va encor me mettre la tête au carré si je ne rentre pas plus tôt…") — s'il a effectivement envie de rentrer plus tôt, ce qui n'est pas toujours le cas.

Contrairement à ce qu'on pourrait croire (adoption du modèle "occidental", etc.), le nombre de "femmes au foyer" — 主婦 shufu — ne décroît qu'en métropole (principalement Tokyo, n'est-ce pas), où les coûts du logement et autres sont exhorbitants. C'est qu'ici la femme — en particulier passé la trentaine — troque sa liberté (voulue ? résignée ?) contre la vie commune et le mariage : par compensation, elle peut choisir de continuer ou d'arrêter de travailler : c'est chose entendue. Et nombre d'entre elles arrêtent, pour ne plus se consacrer — hors ménage et, le cas échéant, repas — qu'à ses petits plaisirs : shopping, cafés-pâtisseries entre amies, etc. C'est bien confortable et, entre travail et ça, le choix, s'il est faisable et proposé, est vite fait.

Il est également entendu que l'épouse cesse de travailler à l'arrivée du premier bambin, et les mœurs ne sont pas près de changer de si tôt sur ce point, d'autant plus que le premier est assez souvent le dernier. C'est également ce qui fait, m'est avis, toutes ces générations de ce que nous nommerions fils et filles à maman, voire à grand-père/grand-mère, s'ils habitent ensemble, qui passeront maints caprices de leur adorable rejeton.

L'homme, pour sa part et en un sens, ne cesse pas pour autant sa vie de célibataire. C'est qu'également la conception du mariage et du couple peut se révéler fort différente ici de "chez nous" (encor que...). En gros : le mariage et le couple c'est une chose ; le sexe c'en est une autre. Le "top du top" pour impressionner et bichonner un bon client de travail, c'est de l'emmener dans un bar à hôtesses. L'hôtesse pro certes n'est pas censée coucher ; mais ça ne veut pas dire qu'elle ne vous plumera pas par la suite, ou qu'il n'existe que des hôtesse pro. Par exemple. Et ceci dit, le nombre des divorces augmente. Ceci ne trouve pas forcément sa cause dans cela.

La femme, en revanche, est plus souvent fidèle, semble-t-il, non à son mari, mais à son couple, et plus encor, le cas échéant, à sa famille. Il faut sacrément bosser pour les dévisser de là, ou proposer de sacrées garanties en retour. Et encor, ce n'est pas gagné. Enfin bref.

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Je ne sais trop quoi penser ou conclure de tout cela : ce ne sont que des pistes. On peut par ailleurs, exemple et avec profit, consulter le récent avis d'uchimizu sur la question, publié ce pendant la rédaction, entre-coupée, de ce billet.

Encor une fois, on connaît tous des contre-exemples à chacun des points exposés plus haut. Si cela devait infirmer les tendances et impressions plus générales, il faudrait également bannir sociologie, philosophie, politologie etc. — ce qui, remarquez, ne serait peut-être pas plus mal.

A votre tour de faire part de vos réflexions…

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