白鷺駅 — la station de Shirasagi — est une petite gare où ne s'arrêtent guère que les omnibus (各駅停車 kakuekiteisha) de la ligne Nankai Kouya (南海高野線), comme il en est myriade au Japon. C'est celle dont on use au quotidien nippon.
La station, sans surprise, est néanmoins assidûment fréquentée aux heures de pointes — c'est qu'on est tout de même en conurbation, et qu'il est tours non loin —, bien moins toutefois que ses voisines Nakamozu 中百舌鳥 / なかもず et Hatsushiba 初芝, où, pour celle-là, se termine la ligne de métro Midosuji (御堂筋線) et, pour celle-ci, se trouvent aussi collèges et université.
Les petites gares à ciel ouvert auront toujours ma préférence : le ciel, voyez-vous, le ciel. Et le soleil qui d'aventure réchauffe la patience.
Amusantes, aussi, ces mêmes figures qu'on retrouve de jour en jour, hors heures de lourd trafic, et de se demander ce qu'elles font, dussent-elles manquer l'appel.
Sur-activité, ces derniers temps, en quai, sur rail : c'est que la station est en rénovation — lifting des sols, ajout d'ascenseur : c'est que, comme partout ailleurs, un peu plus peut-être, le grand-âge est de rigueur.
« Les gares sont des lieux étranges [...]. Des lieux tout à la fois de passage et d’attente, pleins de gens en somme inoccupés — en attente. Ils ne font que passer, et si l’on regarde la grande image, on dirait une masse d’électrons libres. Enfin, libres, libres… Les électrons libres sont surdéterminés. Remarque, les gens aussi. Pas très disponibles, non plus, les voyageurs en attente de moyen de transport. La magie du voyage n’est plus. Tout se tue à l’usage. On veut arriver vite et insensiblement à destination. Ah, la téléportation ! Remarque, moi non plus je n’aime pas le train. Il faut du leurre, un peu d’exotisme, par ci, par-là. Que diable ! Je me demande parfois si, dans nos sociétés si belles et parfaites, il y a eu un premier homme triste, ou si tout le monde est devenu triste, et la plus grande part s’est lors masquée de conformisme pour tout étouffer dans l’œuf. J’aime assez cette idée du premier homme triste, premier homme seul et ensemble — comme j’aime celle du dernier homme. Et au fond c’est le même. Et puis ce ne sont que des idées. — Qu’est-ce que je veux dire par : triste ? Bah, je ne sais pas, triste, triste, pour tout un tas et sans raison aucune. — Oui, non, spleen, mélancholie, si tu veux. On n’a pas besoin d’un mot pour tout, non ? Oui je sais : ce serait pratique, n’est-ce pas ? Mais c’est une joie, aussi, cette tristesse. On s’y complaît un peu également, je suppose. — Comment ça, je sonne triste ? Mais non, mais non, ça va. Tout ça pour dire que je ne comprends pas vraiment les gares. Et du reste il n’y a rien à comprendre. — Passons, passons ! » Nous marchâmes long-temps ce jour-là.
[...]
Pour l’heure, N se frayait un chemin hors les trajectoires des voyageurs. Peut-être est-ce en ces grandes gares seules que les gens ont un but : au moins savent-ils où ils vont, à ce moment. Le billet qu’ils tiennent en main, ou qui repose en sac ou poche, le leur rappelle à gré. C’est une des raisons pour lesquelles — et non, au fond : point besoin de raison — il est toujours intéressant de regarder les visages lors croisés. Dans les gares, les regards décidés, les traits tendus, comme appelés, de ceux qui marchent d’un pas rapide vers leur train nouvellement à quai ; les yeux — non moins vides — désœuvrés de ceux et celles qui, assis sur un banc ou un bout de bitume, savent qu’ils sont bien trop en avance et qui n’ont rien sous la main pour, comme on dit, « tuer le temps » ; ceux et celles, entre deux eaux, qui ont les yeux rivés sur le tableau d’affichage des départs— car les gens qui attendent quelqu’un ou une sur le point d’arriver se font de plus en plus rares : l’attente est luxe que le téléphone portable, entre autres ustensiles modernes et superflus, permet de reporter — et qui n’attendent que l’annonciation, l’apparition d’un chiffre ou lettre, pour se mettre en branle tels automates et rejoindre la première catégorie de ceux dont nous faisons ici état. Il en est d’autres, bien sûr, et de plus divers. Il en est de choisis, aussi, et de fait N s’attardait — ô surprise — bien plus volontiers sur les jolis faciès croisés en ces lieux souvent pleins et vides. L’on pourrait s’étendre en considérations, mais là n’est pas notre intention. Revenons, revenons.
(N, 2004)
4 commentaires:
...s'adressant à un autre français, lui aussi sur le sol japonais.
Simplement merci pour ce blog que j'essayerai de suivre désormais aussi régulièrement que possible.
Sans dénigrer forcément tous les blogs (certains de vos liens ayant été aussi de bonnes surprises), un plaisir que de tomber sur le vôtre qui, enfin, apporte un peu de grandeur aux blogs en général, et à ceux des "expats" au japon...
En tant que jeune proche du demi-siècle (vous n'avez cependant pas l'air d'être bien plus vieux ?), jeune prof au japon, ayant subi des insuffisances littéraires mais qui souhaiterait y remédier en lisant du bon français..., encore seulement apprenti photographe, et un peu perdu dans ce monde de brute où on affiche plus volontiers sur son blog ses beuveries en photo que ses idées. Je ne pouvais qu'apprécier votre blog.
Simplement merci, et qui sait... à l'occasion...
Ça, c'est du commentaire, auquel je ne sais trop quoi répondre, si ce n'est par un égal remerciement. J'ai toutefois encor une vingtaine d'années à tirer avant le demi-siècle ; ) Vous sévissez dans quel coin du Japon ?
ahahah, honte à moi qui n'ai que mal relu mon texte ou alors fait un lapsus douteux. Je n'approche (hélas?heureusement?) pas du demi-siècle, mais du quart.
Enfin bref, vous m'aurez pris pour plus vieux que je ne le suis, avec surement tout le respect qui va avec :) et vous avez en plus répondu à ma question. Il faut dire que la première fois que j'ai lu ce blog, je vous avais rangé dans les 40 et plus en me fiant à l'écriture, et avec surprise ce n'est pas le cas. Ça donne à réfléchir...
Je sévis, ou plutôt je survis à Tokyo.
Je m'en vais lire l'article sur les montagnes.
A la revoyure...
Eh eh. M'est avis toutefois, que le respect n'a rien à voir avec l'âge. Vous me voyez également embarrassé de vous décevoir : pas grand-chose à lire dans le billet sur les montagnes ; ) Bonne fin de journée, &c.
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