Nos contemporains ne souhaitent plus apprendre : ils souhaitent apprendre à apprendre.
Ni la matière, ni l'art, non plus d'argumenter, ni même d'organiser le discours, mais d'apprendre... Pas même besoin de faire court, puisque ça tient en quelques mots : eh bien il suffit d'apprendre à lire et à écrire, accessoirement à compter, ça peut toujours servir. C'est moins facile qu'il n'y paraît, le travers de la quasi-totalité des gens étant de lire à tort. Ils se font bien entuber, à oublier que pour apprendre à apprendre, il faut d'abord savoir apprendre à apprendre — lire et écrire...
Les gens — ah ! les gens — ont oublié que l'important se passe ensuite, qu'ensuite tu lis, tu épluches ce que tu lis, tu prends des notes, tu les relis, tu les organises, tu laisses tes notes, tu réfléchis à tout ça, tu écris...
Je stigmatise les gens ; mais ils ne sont pas les seuls fautifs de cette dégénérescence annoncée. On pouvait encore, dans un passé idéel et lointain, entendre en université des gens qui savaient de quoi ils parlaient, qui avaient lu beaucoup en tous horizons et digéré leurs lectures, et donnaient à comprendre des choses éclairantes à leur propos, et innovantes dans leur sujet. Il faut croire qu'ils sont tous morts, puisqu'on ne trouve plus guère que régurgiteurs de poncifs, vagues et vides résumés de mémoires piqués aux élèves.
Demander l'art du discours logique — ah, l'art de la dissertation ! — ou l'art de la belle parole, c'est déjà une perte qualitative ; mais c'est déjà ça. Ça me rappelle furieusement les sophistes de la Grèce ancienne. Sauf qu'eux au moins ils avaient du talent, semble-t-il. Parce qu'ils avaient sacrément bossé avant de faire du vide leur fond de commerce. À présent sur quoi est-il fondé ?
À présent qu'on demande comment apprendre à apprendre ?
Je veux bien concéder que la maîtrise des nouveaux outils de savoir — à prendre avec quelles pincettes — tel qu'internet, puissent faire l'objet d'un cours d'initiation : les moteurs de recherche, la pertinence des mots-clefs, les podcasts et j'en passe. Mais bon, c'est chose réglée en une demie heure... Alors que le livre dans sa forme actuelle, ça existe depuis 1440, que la lecture n'est pas une activité dont la nature a foncièrement changé depuis l'invention des pictogrammes ou de l'alphabet, et que la mémoire est une capacité plutôt innée que pas.
Au passage, permettez-moi de douter de l'efficacité de tels moyens (électro-trucs), et d'un quelconque ajout de la technologie ; car les dictionnaires en ligne et autres encyclopédies électroniques servent plutôt l'oubli que la mémoire. Avant on avait tout dans sa tête (c'est pourquoi l'on pardonne volontiers, au contraire de MM. les professeurs-rectificateurs aux remarques acerbes qui n'ont que cette jouissance déictique, les citations inexactes de Hegel) ; à présent toute notre "mémoire" est hors-le-corps : en disque dur, en poche, en réseau... La tête est vide de trop compter sur autre qu'elle. C'est truisme : à compter tous jours sur les autres, on ne peut s'en passer plus, et se retrouve bien mal quand ils viennent à manquer.
Enfin bref, tout ça pour ne rien dire au sujet d'une supercherie qui a de l'avenir et espère de bons revenus.
On me dira que je demeure bien silencieux concernant le Japon. Que dire d'un pays où l'intérêt premier est de s'amuser et qui confond un cours avec une partie de plaisir ou de papote entre copines ?
Les adultes, à plus forte raison les retraités, prennent des cours pour diverses raisons — C'est pour le boulot J'veux me la péter auprès des collègues et des filles Je lutte contre la sénilité —, toutes bonnes me dira-t-on avec un clin d 'œil entendu de philantruc — et le contre-argument censé tuer toute réplique Je fais ce que je veux de mon argent, tsss —, toutes mauvaises m'est avis : on apprend pour soi. Après, ce qu'on fait de son savoir, c'est son affaire : plus-value marchande, personnelle ou dilettante. Si vous voyez quelque part Apprendre en s'amusant, il faut flairer le fumisme — c'est qu'on est plus au jardin d'enfants.
J'ai eu des groupe d'adultes, ça va et rigole quand on parle de cuisine ou lance des anecdotes idiotes, et dès qu'on s'attaque à des choses importantes, comme la grammaire, ou des choses un peu moins bandantes comme le système bancaire — oh, de l'initiation ! —, ou tout bêtement comment passer un coup de fil, y a plus personne. Pire, des élèves d'Eiken 1-kyu qui étaient tout mécontents d'être fatigués à la suite d'un cours...
Ben oui ma bonne dame, ça fatigue. Bandes de feignasses.
2 commentaires:
"Je veux bien concéder que la maîtrise des nouveaux outils de savoir — à prendre avec quelles pincettes — tel qu'internet, puissent faire l'objet d'un cours d'initiation : les moteurs de recherche, la pertinence des mots-clefs, les podcasts et j'en passe. Mais bon, c'est chose réglée en une demie heure..."
Mon expérience d'enseignement à des adultes suggèrent que ce n'est pas gagné en une demie heure.Il ne s'agit pas seulement d'apprendre la manipulation d'outils mais de faire comprendre que ces outils demandent des attitudes qui ne sont pas nécessairement disponibles de fait pour chacun, la curiosité pour n'en citer qu'une, et ici au Japon, ce qu'on appelle communément "la jugeotte", dont le déficit est souvent considérable. "kangaeru no wa mendokusai" est une expression entendue plus d'une fois qui n'augure rien de bon.
Je rédigeai justement ce matin un billet sur l'infantilisation et l'assistanat... C'est "chose réglée en une demie heure", si motivation et capacité suivent... D'avis concordant, débrouillardise rarissime, attente certaine de becquée et de papier mâché, surtout que ce ne soit trop lourd à la digestion, qu'on ne pense à pas grand chose et qu'on s'amuse. D'où la nécessité, pour les cours d'adulte, d'avoir également, m'est avis, une expérience d'enseignement à des 5-6 ans : le contenu diffère mais la méthode est la même — leur faire retenir quelques petites choses sans qu'ils s'en rendent compte, tout en les tenant amusés et riants pour ne pas qu'ils s'endorment quand il faut réfléchir... Ah, ces fameux "cours de conversation"... Il y aurait beaucoup de cas de détail à faire partager, pour information et instruction.
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