Le tourbillon sacré des couleurs en automne.
C'est le long de ces froides et dures soirées d'hiver qu'il est bon de se souvenir des choses qui font chaud au cœur. Pratiquons par conséquent un peu le hors-saison.
Le Japon est justement renommé pour ses merveilleuses, fantastiques, splendides et ineffables feuilles d'automne — 紅葉 こうよう / もみじ kôyô / momiji— dont les langues occidentales peinent à retranscrire le mot, sa richesse, et la foison de sentiments contradictoires et poétiques qui affluent dans l'âme japonaise à son évocation, ou en pleine contemplation zen (紅葉狩 もみじがり momijigari) du phénomène sans semblable aucun, mis à part en pâle imitation dans quelques pays barbares et insignifiants, comme la Corée, la Chine, le Canada, quelques états des USA (rebaptisés Universal Studio America par le gouvernement japonais, par référence au célèbre USJapan d'Osaka) comme la Nouvelle-Angleterre, le Massachusetts, dans le Nord-Ouest pacifique et j'en passe, car ce n'est vraiment pas important.
L'art subtil et naturel du kouyou,
ici dans un parc couru et renommé de Sakai (Osaka, Japon)
Cette année fut particulièrement bonne pour les adeptes des feuilles d'érable jaunissant, rougissant, orangissant, et de celles qui restent vertes. Le comité pour la sécurité routière japonaise a par ailleurs lancé un avis aux automobilistes, à fin de les mettre en garde contre les érables pouvant être pris pour des feux tricolores. Faites attention vous aussi.
La pratique de la contemplation du changement de couleurs des feuilles en automne est, bien entendu, une pratique pluri-millénaire, de même que celle, également fort prisée, de la contemplation des sakura / fleurs de cerisiers (japonais). C'est ainsi une tradition ultra-ancestrale qui perdure et se reproduit chaque année, sans faire de petits, au grand dam du gouvernement japonais.
Le premier sentiment qui surgit dans le cœur des Japonais alors est un sentiment de paix intérieure : la chaleur étouffante de l'été a passé, la froide rudesse de l'hiver n'est pas encore là, la beauté de l'automne et ses couleurs sont un confort et réconfort sans nom pour les souffrants et mécontents permanents.
La beauté de la nature japonaise
Le sentiment qui suit derechef le premier, c'est bien évidemment la nostalgie, sentiment japonais s'il en est, car au moment même où le Japonais se rend compte de la merveille du phénomène automnal, il réalise que ce temps sera bref, et que bien tôt tout se flétrira, tout sera froid, noir et dur.
C'est alors des millions de communiants en émerveillement nostalgique, réminiscent et anticipant, devant la beauté de la nature et le changement des saisons, unis par le chœur de leurs pensées, de leurs corps émus, et par la pression urgente de l'index sur le déclencheur de l'appareil-photo numérique au télé-objectif surpuissant, à fin de saisir et conserver cet instant éphémère et précieux.
L'Akizaké ou Koyozaké implique un véritable dialogue entre l'homme, la nature et les dieux,
recherché des connaisseurs.
La communion des âmes et corps se poursuit par ailleurs dans le rituel ancestral du partage du liquide sacré, qui a pour conséquence la plus fréquente la possession du saint-buveur par l'un des milliers de dieux japonais. La dite possession fait l'objet de nombre études, et nous rappellerons simplement ses traits caractéristiques : l'émission de cris rauques, de chants tonitruants, le débridement de la personnalité, la convulsion frénétique, qui se termine le plus souvent par le relâchement du dieu dans un vomi, et l'assoupissement du possédé dans un lieu aléatoire : banquette de train, poubelle, caniveau.
Il s'agit également par-là, bien sûr, d'oublier la brièveté de ce magnifique moment et le visage du chef de service qu'on retrouvera l'en-demain s'il n'est déjà de la partie, dans un tourbillon de chatoiements alcooliques.
La variante koyomi dite "bonsaï" :
chercher le koyo dans le microcosme végétal.
À juste fin de varier le plaisir pour ne le tuer pas, a été développé ou repris une large sélection de variantes de cette pratique nippone, qui ont toutes leurs spécificités, curiosités et intérêt certain. Mentionnons à titre d'exemple l'Observation du Petit Monde — 小世見 こよみ koyomi — qui cherche l'automne et ses feuilles chatoyantes dans le monde minuscule des feuilles du raz-de-terre, à fin de réaliser combien l'on est grand face à l'herbe, et petit face au monde. Les adeptes de longue date du koyomi s'emploient également à appliquer cette philosophie au moyen de microscopes — 小ヶ世見 こごよみ kogoyomi : c'est l'Observation du Tout-Petit Monde.
Méritent également attention parmi la horde de pratiques anciennes, modernes et contemporaines dérivées du momijigari : la contemplation des feuilles d'automne dans les motifs des services de table traditionnels japonais, la chasse aux plus belles photos de kouyou sur le monde internet japonais (c'est à dire, yahoo.co.jp), le mimétisme costumier féminin (habits aux couleurs d'érables changeants, variante : petites culottes à motif saisonnier, fort appréciées des pratiquants de la précédente), la construction dans les écoles de pyramides humaines au moyen d'écoliers portant des t-shirts (variantes : chapeaux) rouges, oranges, jaunes et verts, la recherche des allusions chromatiques automnales dans Le Dit de Genji, l'art du choix de la plus belle feuille d'érable japonais à fin de naturisme sur le modèle adamique, &c.
Exemple de tentative manquée de saisie de petite culotte à motif automnal.
En guise de conclusion, nous vous invitons à découvrir de première main ce subtil art japonais l'an prochain, de préférence au Japon qui, à en croire les dires des autochtones, est le seul pays de la planète à avoir au moins quatre saisons marquées. D'ici là, puisque le Japon est la seule île au monde épargnées par les calamités mondiales comme le réchauffement global et la pauvreté, il y aura la Contemplation du Sakura au printemps, pratique profonde auquel nous consacrerons logiquement une chronique l'été prochain.
Rien ne vous empêche, entre temps, de vous entraîner au moyen des nombreux simulateurs de momijigari en ligne (maîtrise du japonais fortement recommandée).
Passez un bel hiver, automne et printemps en cœur !
Car la viande noire fait la nique aux crocs, madame
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